Parfois, tu sais, j’ai besoin de la lecture d’un autre pour me rassurer un peu sur ce que valent mes écrits. Comme si mon jugement, forcément partial, devait être validé. Très vite, chaque prescripteur pourtant perd de son crédit : les amis me reprennent-ils avec courage si mon travail baisse en qualité ? Les followers inconnus si proches ont-ils le regard juste au-delà d’une lecture bienveillante ? Mon éditeur est-il sincère ou simplement flatteur ? Ce n’est pas facile d’être juste avec soi. Parfois, rarement, l’un pousse l’analyse un peu plus loin ou se fend d’un mail argumenté, qui me dit que je ne suis pas totalement dans le faux. Mais toujours, toujours je doute de mes éventuelles qualités.
Et puis un jour, ici, à Montréal, je me suis faite institutionnaliser. C’est bizarre, dit comme ça, pas vrai ? Ca sonne entre violence et embaumement. Tu crois cela ? Tu as tort. Je suis allée à l’université. Non pas suivre un cours, cette époque-là est révolue. Non pas donner un cours, cette époque-là où l’on parlera du désir et de l’amour en éducation à la sexualité n’est pas encore arrivée. Je suis allée rencontrer des étudiants, de maîtrise, de doctorat, de post-doctorat, en théorie de la littérature à l’ère du numérique, joliment abréviée Théolinum, l’espace de recherche et d’enseignement du brillant Marcello Vitali Rosati. J’étais bien sûr accompagnée de cette créature jumelle – mais j’ai de plus gros seins -, la fascinante Victoria Welby. De sujet écrivant, je devenais objet d’étude : rencontre intéressante s’il en est. Gardons en conclusion que les deux mamelles – on n’en sort pas- de nos univers parallèles sont (1) l’infini – nous créons un espace un et temps pour le sexe, une pornotopie sans limite, magie du numérique, et (2) l’engagement politique fort. Ah, tu croyais que je parlais de fesses pour le plaisir de l’orgasme ? Moi aussi, mais pas que. Si la question t’intéresse, je te renvoie vers ce nouvel espace de réflexion- un infini de plus – que Victoria W. et moi-même avons créé ici : La rosace et les nymphes. C’est joli ? C’est sexuel.
Politique, et innovant, et provoquant, et révolutionnaire… Comme une Che Guevarette de la cuisse légère, je revendique. Ce n’était pourtant qu’une envie née de l’intime. Et cette étudiante bretonne perdue en terre de glaces, m’a tout simplement épatée, par sa compréhension du propos et de l’acte photographique, compréhension quasi autant instinctive que ma façon de l’écrire. En bousculant la règle de « les femmes nues mais pas les hommes », selon elle, le projet HuManSkin se pose comme un acte totalement neuf et révolutionnaire, et propose un espace, un autre monde où les référents normatifs, le socialement acceptable, sont totalement renversés.. Et ce regard me comble de joie… Un instant, j’ai eu vraiment l’impression d’avoir quelqu’un, une femme ô joie, qui comprenait tous les aspects de la démarche : graphique, esthétique, mathématique, politique… Sans que je n’ai dit un mot encore. Si donc l’art permet d’inventer ce monde alternatif-là, une alternative qui, combinée au réel, nous donne une approche égalitaire du monde, pourquoi ne pas simplement l’intégrer dans notre société, et élargir notre monde réel ? Je sais que mes tweets, mes écrits parallèles ou mon blogue de voyage sont parfois foutrement engagés dans le monde qui m’entoure. Cette étudiante, et son professeur quelques minutes avant elle, m’ont mis face au miroir, m’obligeant à nommer cet engagement viscéral. Je suis convaincue que l’altérité, le rapport à l’autre peut se vivre comme une émerveille, un plaisir, une découverte enrichissante. Notre rapport le plus intime à l’autre, la sexualité, mérite franchement d’être classée dans les plus belles choses du monde. Bisounours ? Je ne sais pas . Je ne peux parler qu’en mon nom, je n’ai aucune prétention à l’universalité. Au contraire, mon propos, mon écriture, se veut un absolu de subjectivité : écrire en je, dans la sensation, dans l’émotion…Je n’ai aucune vocation à la vérité. Prends-y plaisir, lecteur, c’est ta joie. La mienne est dans la recherche du mot juste qui rendra ce frisson entre mes reins, l’image qui évoquera le goût de la peau, l’arrondi ou l’anguleux du corps, l’émoi du velours.
Il m’a fallu un peu de temps pour ordonner toutes ces rencontres des derniers jours… La frénésie des fins de séjour, les mots des uns des autres, les émotions, les peurs… Les petits et grands tracs, aussi, comme cette soirée partagée à la Maison des Écrivains. Ainsi donc, me voici de l’autre côté de la terre, à raconter ces histoires, lues quelquefois avec ma Bleue pianiste, dans un silence émouvant. C’est Maya Ombasic, une écrivain d’ici et d’ailleurs, aux vies multiples, au rire flamboyant, qui m’accompagnait dans cet exercice délicat de rencontre avec le public. Maya… Quelle éblouissante rencontre, encore. Dans la salle, des regards que je connais, d’autres pas. Des sourires qui se dessinent, quand les mots frissonnent dans ma voix. Parler de sexe derrière un micro, avec l’appareil photo qui crépite, c’est tout de suite plus impressionnant que seule derrière son écran, tu sais ? Et se confronter ensuite, aux images saisies en vol, comme une grande violence du monde… J’aime tant rester dans l’ombre de mes mots, ce paravent magnifique…
Il me reste quelques jours à goûter la grande ville, et quelques rencontres encore. Sur le divan, ma valise grande ouverte, accueille mes seuls achats : des livres d’écrivains d’ici, un peu de sucre en conserve, des cartes de métro comme autant de souvenirs… Dans chaque pays visité, j’ai laissé un peu de moi. Sans doute à Montréal, je laisse un peu de mon coeur. Et quelques gouttes de cyprine.
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