La valise et les adieux

Denise, Maya, Léo, Benoît, Jean-François, Stéphanie, Benjamin, Pascal, Stéphanie, Francis, Pierre, Jean-François encore, Caroline, Diane, Marcello, Servanne, Fabrice, Carl, Victoria et Anick…

La dame du magasin de chaussettes, l’étudiant de l’épicerie, la serveuse de bagel, le concierge de la résidence, la jeune barista du Carré Saint-Louis, le caissier du marché, la vendeuse de cochon, le marchand de tomate, le souriant pompier…

Les 564 écureuils…

Ma valise est lourde ce matin, et mon coeur plus gros encore. On mesure peu ce que deux mois représente dans une vie. Encore moins dans deux.

L’émerveillement des heures partagées aussi, la conscience dure que ce voyage est une bulle suspendue dans le temps et dans l’espace, exclusive beauté de l’expérience. J’ai croisé pas mal de monde, pendant ce voyage. Des hommes nus, évidemment, que j’ai photographiés. Des hommes habillés aussi. Des femmes seules, des couples, des gens d’ici ou d’ailleurs. Il y a eu des coups de foudre d’amitiés.

Foutredieu, qu’il était beau ce voyage. Que cette pause entre deux mondes fut nourricière et bienfaisante.

Depuis des années, j’écris, ici, et ailleurs, parfois sous mon nom de baptême, parfois sous pseudo. Je suis femme, mère, amante, travailleuse, écrivain. Toutes ces femmes en moi ont vécu ce voyage. Après vingt ans à materner, passer deux mois loin de ses enfants est une expérience étonnante, à la fois légère et un peu culpabilisante. Ils ont cette générosité de m’avoir dit “Maman, fonce, nous sommes fiers de toi”. Et comme je suis immensément fière d’eux, et reconnaissante. Je crois que sans cette petite phrase, je n’aurais pas savouré l’expérience de la même façon.

Quand on a plusieurs vies, l’une se fait souvent au détriment d’une autre. Pendant les deux mois qui viennent de s’écouler, j’ai été l’écrivain invitée. J’ai mangé, dormi, rêvé, marché dans la ville, parlé aux gens dans cet univers-là, de pensée, de réflexion, de créativité, de rencontre et d’écoute de la parole de l’autre. Quel formidable cadeau, quelle magnifique reconnaissance que d’offrir ce temps à un auteur. Quel luxe d’avoir le temps de n’être que cela. S’appeler d’un autre nom, parler librement, confronter ses référentiels, son vocabulaire, ce matériau de travail essentiel, à une langue, à une culture si proche et si différente. Ecrire, sans contrainte de temps, sur tout ce qu’on entend, voit, ressent, rencontre, questionne… Une femme d’ici et d’ailleurs m’a dit : “Tu verras, ces deux mois comptent toute une vie”. Oh oui, c’est vrai. Et à l’heure de partir, c’est comme une vie qui s’arrête, avec beaucoup d’émotions d’ailleurs, pour refaire de la place aux autres. Comment rentre-t-on dans une vie d’urgence et de réserve après tant de liberté ? Je ne sais pas.

Hier, une femme très belle, encore une de ces rencontres qui révèlent un éclat insoupçonné, m’a dit que je pourrais vivre ici, et y être heureuse. Oh oui, c’est vrai. Cette ville offre toutes les libertés d’être qui on veut, comme on veut. Peut-être je serai cette vieille dame de soixante-dix ans, au tailleur rose et aux lèvres rouges. Je pourrais. Et le simple fait que cela soit possible me remplit le cœur d’une nostalgie émue.

Je suis arrivée dans la neige et le froid, le cœur léger, impatiente.Je repars sous un ciel d’une lumière exceptionnelle, le cœur gros, avec l’envie de ralentir le temps, d’être encore, juste un peu, quelques heures, uniquement et librement, Nora Gaspard, l’écrivain qui venait de loin. Mais tu sais ? Je reviendrai à Montréal…

Merci.

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